Jean Claude LE GOUIC
 
 

Atelier des Eyguesiers, Aix-en-Provence, juillet 2005

 
  Ombres et lumière  

L'exposition de l'Atelier des Eyguesiers voudrait poser un certain nombre de questions sur les conditions de perception tant de la réalité que des créations plastiques.
Dans la série de photographies ici présentées, il s'agissait de piéger les automatismes des appareils photographiques (numériques et analogiques) en plaçant devant l'objectif un petit objet (feuille morte, tige, caillou, fleur, etc.) déposé successivement sur divers fonds de couleur fluorescente. Ni les pellicules, ni les appareils de tirages des photographies couleur ne reconnaissent la fluorescence. L'intensité de la lumière du jour se reflétant sur les étendues fluos perturbe les capteurs des appareils photo. La réponse à l'intensité lumineuse est un éclaircissement des valeurs et une perte de l'intensité couleur des plages éclairées. Les couleurs les plus vives se réfugient dans l'ombre. Pas d'utilisation ici de filtres, ni à la prise de vue, ni au tirage, seulement un montage de la même image initiale qui se répète a des tailles et des orientations différentes dans les deux premières photographies. Dans la troisième ont été réunies différentes prises de vues sur des fonds variés tous fluorescents.
Signe peut-être que la peinture peut aussi se faire sans pinceau (à moins que ce redressement des vieux pinceaux, hors d'usage après avoir été abandonnés dans la couleur, soit le signe de leur révolte) le triptyque montre l'avancée des objets dans la réalité. Preuve de cette présence dans le réel, ils dessinent des ombres sur les fonds de couleur.
"L'arbre de lierre" porte encore ombre sur le mur. Ses couleurs fluorescentes nous incitent pourtant à quitter la réalité et à descendre (en suivant Alice) dans le terrier.
La forêt fluorescente qui accueille le visiteur au bas de l'escalier le fait basculer dans le monde intermédiaire. À partir de maintenant toutes les œuvres, sous l'effet des variations progressives de lumière, alternativement blanche et noire (en fait ultraviolette), montreront les faces changeantes des choses. Mieux vaut ne plus croire à ce que l'on croit voir. On passe d'un monde connu à un autre dans lequel les couleurs intenses des objets rayonnent, les choses sont sans ombres et tentent aussi à perdre leurs pesanteurs.
Si des figures d'ombres sont encore présentes, elles rappellent, sans nostalgie, la trace lumineuse d'un autre espace, la marque palimpseste d'un autre temps. Sous le seul éclairage de la lumière noire, les silhouettes d'ombres des grilles, des châssis et des chaises éclairent les objets. Les têtes des mannequins révèlent les ambiguïtés des rapports à la face cachée des figures les plus anonymes. Les ombres portées ne prouvent plus la réalité d'une présence comme dans les représentations traditionnelles ; l'ombre n'est plus à la remorque de l'objet, elle a acquis son autonomie. Le titre de l'œuvre au mannequin féminin, La Vénus de Fluo, rappelle les possibles prolongations de l'imaginaire à partir du seul regard sur des éléments fragmentaires.
Les supports plans des ombres servent de surfaces de projection, allégories de la peinture elles transforment les réalités volumiques en images écrans : pas d'images en miroir mais des écrans couleur de nuits violettes. L'ombre est le moyen de défaire les volumes. L'ombre a la "capacité d'une fécondation métaphorique"
L'ombre est le véritable lieu de la présence et de la recherche de signification de ces œuvres. L'ombre est une présence plastique qui éclaire métaphoriquement les choses, elle indique la direction, elle flèche le regard du spectateur. Par-delà la réjouissance du parcours dans un univers joyeux, festif même, le visiteur constate que l'ombre portée l'éclaire sur des significations potentielles pourtant en raison des inversions et des oxymores, rien n'est plus décidable. Dans la salle en rez-de-chaussée, sous le soleil (ou la lumière dite blanche), il est encore possible de distinguer, donc de dire avec les mots, l'orientation de la source lumineuse, de comprendre, d'interpréter les effets ; dans les salles du bas de la galerie, sous la lumière changeante, essayer de définir, par des termes précis l'origine des ombres ou ce qu'elles signifient serait mal comprendre les intentions de ces œuvres. Les ombres, comme on pouvait s'y attendre, figurent la part non explicable des choses, ces signes d'ombre sont là, visibles presque trop évidents avec leurs couleurs fluorescentes, mais ils demeurent in-interprétables.
La lumière noire est un faux jour qui dans la grotte de l'exposition permet le commerce des ombres : lieu de fictions de nos rêves, lieu de l'infra-monde de nos fantasmes. Les couleurs et les formes qui changent, rappellent que l'image n'est qu'un leurre ; donner à voir ainsi les mouvances des choses c'est souligner l'illusion de toute représentation.
Jean-Claude Le Gouic
 
 
 
   
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